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PARTIE 3 L'installation C'est dans cette ferme qu'habitait monsieur Fort et sa famille. Il nous aida à descendre du char à bancs et toute sa famille sortit de la maison pour nous accueillir. Il y avait un grand-père M. Dutrias, la grand-mère, Mme Mélanie la femme de monsieur Fort et leur fille Renée, qui avait douze ou treize ans. Nous, nous avions envie de pleurer. Cette première nuit, j'ai dormi avec Renée. Enfin ! Dans un bon lit. C'est là, dans cette maison que j'ai vu pour la première fois de ma vie une cheminée. Le premier soir, ils voulurent nous faire manger quelque chose de solide. On leur avait dit que nous aimions les pommes de terre. Alors, dans une grande poêle, dans cette cheminée, Mme Mélanie avait fait des pommes de terre rôties avec des œufs dedans. Nous bien sûr, avec nos estomacs dérangés, cela faisait si longtemps qu'on n'avait plus mangé un vrai repas, que durant la nuit, une après l'autre nous nous levions pour vomir. Nous n'avions plus l'habitude de manger que des morceaux de pain, que les militaires nous jetaient parfois dans le train, quand il s'arrêtait quelque part. Le lendemain matin, M. Fort nous montra sa propriété. Il y avait une petite maison qui avait juste deux chambres et qu'ils avaient déjà un peu aménagée. Il nous dit : "Vous pourrez habiter là !". Dans cette chambre, de chaque côté, il y avait un lit pas très large, comme nos lits lorrains. Je dormais avec ma grand-mère. Berthe, sa mère et le petit Joseph dans l'autre lit. Ces lits faisaient du bruit, dès qu'on remuait car les matelas étaient bourrés de feuilles de maïs mais nous étions quand-même bien contents. Nous avions aussi le bas d'une armoire de cuisine, pour mettre nos provisions, si toutefois nous en avions, face à une cheminée. Nous l'avons bien regardée, mais comment allions nous faire à manger et nous chauffer ? Dans la chambre à côté, s'étaient installés la Steiner Berthe avec ses trois enfants : Max, Maurice et Cécile. Les autres personnes étaient dans une autre maison, dans une chambre, toujours avec cheminée. Le lendemain Berthe et moi allâmes, bien sûr à pied, dans une petite ville, pas très éloignée du Breuil : Montemboeuf. Le quincaillier vendait des petits fourneaux ronds, sur trois pieds, avec des anses pour le transporter ; c'était sûrement fait pour mettre une lessiveuse dessus. Nous avons donc acheté ce petit fourneau avec un bout de tuyau, une ou deux petites marmites et casseroles, et nous voilà de retour. Nous installâmes alors notre trouvaille dans la cheminée, le tuyau conduisant la fumée vers le haut. Ça marchait bien. M. Fort nous donna du bois autant qu'on en avait besoin. Il fallait aussi penser à l'hiver qui allait bientôt arriver. Les deux grands-mères s'occupaient des repas. Le premier jour, ma grand-mère me dit : "Jeanne, il faut que tu ailles chez la famille Fort, pour voir s'il peuvent nous vendre des pommes de terre". Mme Mélanie m’emmena dans une grange immense. Dans un coin, il y avait un petit tas de pommes de terre. Je n'osais presque pas en demander, mais il le fallait bien. Elle m'en donna quelques unes. Deux jours après, je revenais. Je n'osais presque plus en demander. J'avais les sous dans la main et je dis : "Où peut on acheter un sac de pomme de terre ?" "Nulle part" répondit-elle. Avec le lait c'était pareil, je suis allée pour demander la possibilité d’en avoir deux litres chaque jour. Mais il n'y en avait pas. Pourtant, il y avait dans les parcs quatre-vingts vaches avec leurs veaux mais ils n'avaient pas de vaches laitières. Ils me dirent que dans une ferme, plus loin, ils avaient une vache laitière. "Allez-donc en demander là !". Tous les jours, Berthe ou moi allâmes donc à Forgemoux chercher du lait. La nourriture principale de ces gens de Charente était, la soupe aux légumes, et les haricots blancs, égrenés pour l'hiver. Il y avait quelques sacs pleins, égrenés, bien séchés au grenier. Du lait, ils n'en buvaient pas, hommes, femmes buvaient de vin qu'ils faisaient eux-mêmes, tous avaient une vigne. Même les enfants qui jouaient dehors, avaient un biberon avec de la piquette, un genre de limonade faite avec du vin.
Devant l'auberge familiale : À la fenêtre, Mélanie Denys. Sur le banc de gauche à droite : Madeleine Rein, Octavie Vergnaud, Célina Kogeluk, Marie Rein, ?, Anna Rein, Debout Antoinette Rein, Pierre et Émile Denys; Assis sur le trottoir de gauche à droite : Michel Vergnaud, ?, Fernand Denys, Paul Schwartz, Jacques Dumont (réfugié d'Amiens), Alexandre Denys, Catherine Rein
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