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PARTIE 4 Nouvelle vie
De gauche à droite : Mathilde Bolitt, Catherine Rein, Anna Rein, Alexandre Denys, Paul Schwartz, Antoinette Rein, Fernand Denys.
Après quelques temps, nous nous sommes habitués à cette nouvelle vie. Berthe et moi, sommes allées avec nos hôtes dans les champs. Ils avaient, comme dans chaque ferme, beaucoup de travail. Il y avait aussi le temps où la moissonneuse-batteuse venait, et tous les paysans des alentours arrivaient, les uns aidaient les autres et c'était toujours un peu la fête. Il fallait nourrir tout le monde. Même en hiver, quand tout était gelé, on allait encore arracher, avec une pioche spéciale, les topinambours, un genre de pomme de terre pour les cochons. Près de chaque maison, il y avait aussi une mare, comme un petit étang, pour les canards, dindons, oies, qu'on engraissait pour l'hiver. Nous étions coupés des autres gens de SIERSTHAL. Mais de temps en temps, Berthe et moi allions à Vitrac faire les commissions. Il y avait là-bas, deux épiceries et un boulanger. De temps en temps, on recevait, nous les réfugiés, comme on nous nommait, un peu de ravitaillement, de la viande en boîte, des petits pois, du pâté etc. Chaque dimanche, alors que les grands-mères, avec le petit Joseph restaient au Breuil, Berthe et moi allions, à pied à Vitrac, assister à la messe. Trois kilomètres à l’aller et trois kilomètres au retour mais nous prenions un raccourci, un sentier à travers les champs. Le temps passait et l'hiver approchait. J'avais vu dans la maison une machine à coudre, je demandai l’autorisation de l'essayer. Voyant que je savais un peu coudre, je fus occupée tout le temps à faire des tabliers, mettre des pièces sur les pantalons déchirés, retourner le col des chemises d'hommes, même à faire des tabliers fermés derrière avec trois boutons, et des manches longues, destinés aux enfants du Breuil. M. Fort a même acheté une vache laitière, pour que nous ne manquions pas de lait. Il avait aussi l'intention de planter au printemps prochain, un grand champ de pommes de terre. Nous avons aussi appris à nous occuper de leur bergerie et de leurs moutons. Il y en avait au moins une cinquantaine et vers Noël plein de petits naquirent. Il fallait que quelqu'un aille les emmener au pré, tous les jours. Même moi, je dus y aller, c'était une vrai expédition, car je ne savais pas parler aux moutons pour les guider, heureusement qu'il y avait deux chiens qui s'en occupaient Je demandai à Mme Mélanie : "N'avez pas de laine pour tricoter, car ma grand-mère commence à s'ennuyer ?". Ma grand-mère reçut la laine et elle tricota des chaussettes pour les hommes. Mais elle tomba malade et elle ne put plus parler à personne. Elle s'ennuyait énormément de l’absence des gens de son village.
Chez nous, elle avait l'habitude d'aller chaque matin à la messe. Je me dis que si cette situation ne changeait pas bientôt , ma grand-mère mourrait là. L'hiver 39-40, était assez rude. On nous répétait tout le temps : "Vous nous avez ramené le froid !". Un jour Berthe et moi sommes allées à Vitrac aux commissions, à l'épicerie de Mme Blanchier, qui nous connaissait. Son mari était marchand de bois. Je racontai la situation de ma grand-mère à Mme Blanchier, et lui demandai si elle ne connaissait personne qui n’aurait rien qu'une chambre vide. Elle me dit : " Si, moi, je peux vous en donner une ". C’était une jolie chambre au centre de Vitrac, avec deux lits, une petite cheminée, une armoire, exactement ce qu’il fallait. Elle était située juste en face de l'école dans un genre de château, où nos deux religieuses de Siersthal étaient en fonction, sœur Brigitte et sœur Ernestine. Je lui dis qu'on allait réfléchir, et répétai cela à ma grand-mère. Berthe, elle, voulait rester au Breuil, car son mari, qui était militaire à Toul, devait venir en congé. Un jour, je décidai de faire un gâteau, un biscuit qui était à la mode ce temps-là. Il y avait une cuisinière qui n'avait jamais servi. Je faisais donc la pâte, la mettait dans une marmite, et mon gâteau fut bien réussi. Pour le faire beau, je mis de la crème au beurre dessus et tout autour, je voulus encore un peu le décorer et rajoutai quelques gouttes de vin. La crème devint rose. Avec un sachet dont j'avais enlevé le coin, j’écrivis le mot "Souvenir" sur ce gâteau. Mme Mélanie me regarda faire, et alla appeler la grand-mère Dutrias, qui me demanda d'un air tout malheureux : " Jeanne, qui va partir ? " Je lui répondis : "Un jour grand-mère, nous allons sûrement tous repartir".
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